Sujet de Création

édition 2026

L'harmonie des contraires

Il était une fois… un enfant qui grandissait paisiblement dans un village où les maisons de pierre blanche se blottissaient les unes contre les autres comme pour se raconter des secrets. 

Mais depuis un matin de fin d’été, il ressentait une présence au creux de sa poitrine, où plutôt, deux présences :

La première, portée par une lumière douce, lui chuchotait des mots de miel, et rayonnait de bienveillance. Elle l’invitait à la générosité, à la vérité, au courage, à l’empathie et à l’amour. Mais parfois, cette présence lumineuse le poussait à donner au-delà de ses forces, à faire confiance sans discernement.

Tandis que la seconde grondait comme un orage d’été, brutale et impétueuse, et crachait des mots âpres comme égoïsme, jalousie, mensonge, peur, méfiance, colère et haine. Cependant, elle savait l’alerter sur les dangers et l’encourageait à se protéger. Mais cette présence obscure l’incitait parfois au repli, nourrissait ses peurs et attisait sa méfiance jusqu’à l’isoler.

L’enfant avait remarqué que selon la voix qu’il écoutait, ses gestes changeaient, ses mots se coloraient différemment, son regard sur le monde se transformait. 

Troublé par ces deux forces contraires qui se disputaient l’espace de son coeur, l’enfant courut vers le doyen du village, un très vieil homme toujours assis au pied d’un vieil arbre monumental. On racontait qu’il était si ancien, qu’il portait la mémoire de toutes les sagesses d’autrefois.

L’enfant s’approcha, le souffle court et la main posée sur sa poitrine.
– Maître, dit-il, deux présences habitent ici et se livrent bataille. L’une m’attire vers la lumière mais me rend parfois vulnérable, l’autre me met en garde mais menace de m’enfermer dans l’obscurité. Laquelle sera la plus forte ?

Le vieil homme leva ses yeux couleur de ciel d’hiver vers l’enfant, et un sourire bienveillant éclaira son visage ridé.
– Petit, répondit-il en posant sa main calleuse et chaude sur l’épaule de l’enfant, ces deux présences vivent dans le coeur de chaque être humain depuis la nuit des temps. Elles sont les deux faces d’une même pièce.

L’enfant fronça les sourcils, cherchant à comprendre.

Sa voix portée par la sagesse des anciens, le doyen poursuivit :
– la présence obscure n’est pas ton ennemie. Elle existe pour te protéger des dangers, pour t’aider à survivre quand la vie se fait rude. Sans elle, tu serais un agneau face aux loups. Mais si tu la laisses grandir sans mesure, elle transformera ton coeur en désert.

– Et l’autre alors, celle qui est lumière ?

– Elle est ton guide vers la joie et l’harmonie. Elle est celle qui tisse les liens entre les êtres et fait fleurir l’amour autour de toi. Sans elle, tu deviendrais froid comme la pierre. Mais attention, si elle devient naïve et aveugle aux réalités du monde, elle pourrait te conduire vers de lourdes déceptions et te laisser démuni face aux épreuves.

Le vent fit danser les feuilles du vieil arbre, et dans ce bruissement, l’enfant crut entendre le murmure des générations passées.
Il réfléchit un instant, puis :
– Alors, laquelle choisir ?

– Vois-tu Petit, dit le vieil homme, la vraie question n’est pas de faire taire l’une ou l’autre, mais de savoir trouver ton équilibre avec les deux. C’est apprendre laquelle tu décides de nourrir en premier, jour après jour, à chacun de tes choix, à chacun de tes gestes. 

Le doyen se pencha vers l’enfant et poursuivit :
– Si tu choisis la générosité mesurée plutôt que l’égoïsme aveugle, si tu choisis la vérité bienveillante plutôt que le mensonge complaisant, si tu choisis le courage réfléchi plutôt que la peur paralysante, l’amour éclairé plutôt que la haine destructrice… alors la lumière en toi prédominera. 

Le vieil homme se redressa doucement :
– A l’inverse… 

– « A l’inverse »  ? demanda l’enfant.

– A l’inverse la présence obscure te rongera l’âme, te fermera au monde et à toi-même, puis t’étouffera.

Inquiet, l’enfant reprit :
– Mais… Mais si je me trompe ?

– Alors tu recommenceras au prochain lever du soleil. C’est cela grandir : apprendre à choisir, chaque jour, quelle présence en toi mérite en premier ton attention et tes soins.

– Et si la colère m’emporte ?

– La colère n’est pas toujours un mal absolu. Elle est parfois une énergie qui peut, si elle est maîtrisée et orientée avec justesse, être utilisée pour faire face à l’injustice ou pour défendre ce qui est précieux. Le secret réside dans l’art de la canaliser plutôt que de la subir.

L’enfant hocha lentement la tête. Il commençait à entrevoir que reconnaître la présence obscure et la comprendre lui permettrait de la transformer en alliée plutôt qu’en ennemie.

– Les deux présences doivent coexister dans un équilibre conscient, ajouta le doyen. Pour être pleinement humain, il te faut accepter cette dualité en toi ; il te faut apprendre à maîtriser ses deux forces intérieures pour ne pas souffrir de l’une ou de l’autre.

L’enfant resta silencieux un long moment, laissant la parole du sage cheminer jusqu’à son coeur. 
Il comprenait qu’il détenait le pouvoir de sculpter son âme, un choix à la fois. 
Il comprenait qu’il portait en lui non pas un fardeau, mais un trésor : la capacité de choisir, chaque jour, qui il désirait devenir.

Lentement, il posa sa main sur sa poitrine et écouta.
Les deux présences étaient toujours là, mais ne se battaient plus ; elles attendaient, patientes, de connaître sa décision.

Que décidera-t-il ? Trouvera-t-il l’équilibre ou se laissera-t-il emporter par l’une ou l’autre présence ?

Comment naviguera-t-il dans les situations où la frontière entre le bien et le mal reste floue ? Quand la générosité devient-elle naïveté ? Quand la prudence devient-elle lâcheté ?

Saura-t-il reconnaître les deux présences chez les autres et comment réagira-t-il face à leur « présence obscure » ?